« Aujourd’hui, nous avons autant besoin de centres de données locaux que de lignes électriques pour alimenter notre économie. Ce sont deux leviers essentiels de réussite », explique Yves Bétournay, ingénieur principal en électrique.
Au Canada comme ailleurs, les centres de données font l’objet d’un regain d’attention stratégique dû à l’essor fulgurant de l’IA, une technologie extrêmement demandante en capacité de traitement et en infrastructure numérique (TI).
La demande pour une électricité fiable et décarbonée est telle que le gouvernement du Québec a récemment repositionné les centres de données comme une priorité dans sa stratégie économique, reconnaissant leur rôle structurant pour l’économie.
Cette évolution du discours marque un changement de paradigme, on ne parle plus uniquement de serveurs informatiques, mais de souveraineté numérique, de résilience économique et de capacité collective à innover. Les centres de données deviennent l’ancrage de futurs pôles technologiques et de création de valeur collective.
Leur conception a également profondément évolué. Les infrastructures TI sont :
- moins dépendantes de leur localisation géographique et du contexte urbain,
- de plus grande capacité et plus denses,
- essentielles à l’innovation technologique,
- de plus en plus stratégiques et complexes.
Plus ces centres de données se multiplient et gagnent en capacité, plus il devient essentiel de les concevoir comme des infrastructures TI apportant des bénéfices concrets pour les communautés et l’économie locale, y compris par la valorisation thermique.
Transformer la chaleur en ressource locale
Ces installations sont énergivores, mais génèrent une quantité importante de chaleur réutilisable avec plus de 60% de l’énergie consommée qui peut être convertie en énergie thermique exploitable. Avec une coordination appropriée entre les acteurs publics et privés, et une réelle volonté gouvernementale, cette chaleur peut être captée et valorisée pour alimenter des bâtiments publics, des serres, des procédés industriels ou même des quartiers résidentiels.
« La chaleur résiduelle d’un centre de données est une ressource locale à valeur élevée. Avec la bonne analyse contextuelle, il devient possible de créer une boucle de réutilisation énergétique et de transformer cette chaleur en ressource circulaire… et les solutions peuvent parfois être étonnamment créatives », explique Yves Bétournay.
Percevoir et concevoir un centre de données comme un actif collectif
Pour que ce type de projet s’intègrent à la vie économique des collectivités, il est nécessaire, dès les premières phases de conception, de :
- avoir l’appui gouvernemental pour faciliter et structurer le projet
- comprendre les réalités locales (énergie, urbanisme, industries, emploi),
- collaborer avec les municipalités,
- planifier la consommation électrique,
- anticiper l’impact du centre de données au-delà de son périmètre.
« Un centre de données peut devenir un véritable actif régional, à condition d’être pensé en interaction avec son environnement, et non en vase clos », explique Scott Fleming, directeur énergie éolienne et solaire chez BBA.
Transformer un projet en moteur économique local
Ce type d’infrastructure TI représente des investissements significatifs, mais pour qu’il génère réellement de la valeur locale, il faut le concevoir et le planifier de manière stratégique.
Cela implique notamment de :
- intégrer un plan de retombées locales,
- prioriser des fournisseurs et des entreprises de la région lors de la construction et de l’exploitation,
- favoriser l’implantation d’entreprises associées (cybersécurité, infonuagique, connectivité, IA appliquée),
- anticiper les besoins en main-d’œuvre qualifiée,
- définir un modèle relationnel avec la municipalité,
- inscrire le centre de données dans un projet de territoire.
Dans cette approche, l’ingénierie joue un rôle central puisqu’elle permet de traduire les objectifs économiques en décisions techniques, par exemple le design du site, la connectivité, l’énergie, l’accès aux services, etc.
Renforcer les réseaux et mieux connecter les régions
L’implantation de centres de données, particulièrement ceux dédiés à l’IA, pousse à renforcer la qualité des réseaux électriques, à déployer davantage de fibre optique et à accroître la résilience numérique locale. Moins sensibles à la latence géographique, ces centres peuvent être implantés en régions, ouvrant la voie à une meilleure répartition du numérique et à un développement économique plus équilibré.
Pour que cette transformation soit bénéfique, certaines conditions doivent être réunies :
- planifier la capacité électrique en cohérence avec les réseaux existants,
- coordonner les investissements en fibre optique avec les besoins futurs de la communauté,
- anticiper la disponibilité de main-d’œuvre spécialisée,
- intégrer les centres de données dans les stratégies régionales.
Concevoir avec les collectivités
Les centres de données seront de plus en plus nombreux. La question essentielle n’est donc pas seulement où ils seront construits, mais comment ils seront conçus. C’est cette vision responsable et intégrée que doit porter l’ingénierie.
« Aujourd’hui, nous avons autant besoin de centres de données locaux que de lignes électriques pour alimenter notre économie. Ce sont deux leviers essentiels de réussite », conclut Yves Bétournay.
Les centres de données peuvent-ils être conçus comme de véritables infrastructures au service des communautés? Oui, lorsque le savoir-faire et la vision s’alignent.